À quelques semaines du premier tour des élections municipales, le petit village provençal de Tarvaudan accueille une foule de journalistes. La raison principale ? La mairie est tenue depuis deux mandats par un élu d'extrême-droite qui doit laisser sa place à une jeune louve du parti "Nation & Liberté". Friands de ce genre d'infos croustillantes, les médias se sont donnés rendez-vous pour recueillir les impressions des habitants du patelin mais aussi pour dresser l'état des lieux d'une commune laissée aux mains d'un magistrat aux méthodes douteuses et aux idées nauséabondes. Au même moment, un migrant est retrouvé à proximité, pendu, avec le message "on est chez nous" mis en évidence sur son torse.
Autant le dire tout de suite : la couverture n'est certainement pas l'élément le plus réussi de cet album. Évoquer un parti extrémiste en affublant ses membres de masques de sangliers - et ce, même si cet animal est l’emblème d'un groupe nationaliste identitaire - n'est sans doute pas l'idée du siècle. Le sticker La BD choc - au cœur de l'extrême-droite française enfonce le clou et ne donne pas forcément envie d'aller au-delà. Et pourtant, le simple nom de Sylvain Runberg devrait pousser n'importe quel lecteur à se plonger immédiatement dans la lecture du premier tome de On est chez nous. Si l'auteur d'Orbital et de On Mars navigue aisément dans tous les registres de la bande dessinée, il n'est jamais aussi efficace que lorsque il aborde des sujets sociétaux. Clivages, chez le même éditeur, en est le parfait exemple. Olivier Truc, journaliste et romancier, complète le duo de scénaristes.
C'est sous le regard de Thierry Mongin, reporter pour le magazine Focales, que l'histoire se déroule. Un choix narratif orienté - l'homme est gauchiste -, qui permet de prendre le recul nécessaire et de mener l'enquête au même rythme que lui. Éviter les poncifs et apporter un regard nouveau sur l'extrême-droite semblait être une gageure, le pari est pourtant réussi. Expliquer comment la communication, dans un monde dans lequel fuse l'actualité, est utilisée ou comment l'image - notamment celle d'une jeune femme - prend le pas sur ses idées sont des pistes intéressantes qui vont au-delà d'un manichéisme depuis bien longtemps contre-productif. Pour ne pas tomber dans une analyse politique trop austère, les auteurs ont eu l'idée d'orienter le scénario vers un polar, après le meurtre d'un soudanais.
Nicolas Otéro excelle dans le registre réaliste. Dénué de toute fantaisie, son dessin va à l'essentiel, sans doute pour ne pas laisser l'esprit du lecteur vagabonder, mais le diriger au contraire vers l'objet principal : le propos. L'album se termine par un mini-dossier comportant un zoom sur trois communes ayant été tenues, un jour ou l'autre, par l'extrême-droite et par une interview de Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques.
Un récit à découvrir non pas pour apprendre mais pour ouvrir une nouvelle fenêtre, sans doute différente de ce qui circule habituellement dans les principaux médias. Et c'est bien là l'essentiel.
J'avoue que ce genre de slogan politique de protectionnisme identitaire me fait froid dans le dos. La question qui se pose a contrario : faut-il pour autant inviter le plus de miséreux possible dans notre maison afin de les sauver tous et d'accomplir une bonne action pour la planète ? On peut comprendre que dans un pays où le capitalisme nous a appris depuis 4 siècles ce qu'est le sens de la propriété, c'est un peu difficile de sauter le pas. Cela ne serait pas seulement la prospérité qu'on perdrait le cas échéant mais également un peu de soi-même et d'un certain art de vivre. Bref, des Français de seconde zone dans leur propre pays. C'est tout le sens de ce slogan réducteur et destructeur.
J'ai beaucoup apprécié cette bd qui met en scène un journaliste dans une ville du sud qui a basculé dans l'extrême droite. On nous montre comment le maire gère sa ville en divisant les communautés. Tout ceux qui ne pensent pas comme eux doivent être sanctionnés (on coupe les aides à des associations en préférant construire de coûteux rond-point). A la fin de l'album, on aura même droit à un dossier pour nous expliquer comment cela s'est passé concrètement dans les principales villes qui ont basculées ces dernières années lors des élections municipales. Il faut bien le dire : le bilan n'est pas très glorieux.
Quoiqu'on peut en penser, il y aurait un danger à ce que l'extrême-droite passe dans tout ce qu'elle véhicule comme idées nauséabondes depuis 150 ans. Cependant, nous sommes en démocratie et c'est le peuple qui est souverain. On a vu ce qui s'est passé en Grande-Bretagne quand le peuple décide. Les médias sont également présents pour influencer le public. On crée des peurs pour stigmatiser une partie de la population. Tout le monde peut en prendre pour son grade. La bd décortique ces principaux mécanismes.
J'ai trouvé que le propos était intelligent et non manichéen dans la dénonciation de ce parti politique qui gagne du terrain pour crever le fameux plafond de verre. On reconnaît également les grandes figures de la vie politique française même si elles ne sont pas citées nommément. On se rend compte qu'on va tout droit dans le mur. Alors, cette initiative sous forme de bd me paraît être une bonne solution pour éveiller un peu plus les esprits. Quand on dit chez nous, on pense à un espace privé. Or, notre pays n'est pas un espace privé mais public ce qui veut dire ouvert à tous et pluraliste. L'extrême droite au pouvoir cherche à réaliser ce fantasme d’appropriation de la France et cela serait tout notre héritage démocratique qui serait remis en cause.
Une œuvre qui va diviser les lecteurs que l'on soit dans un camp ou dans l'autre. Je pense sereinement qu'ils ne vont pas apprécier d'être comparés à un KKK à la française mais à force de diviser, on y arrivera sans doute...
Le scénario est un peu lent mais le sujet est rarement traité en bd. Le dessin est assez original pas trop classique. Moi, je le conseille à ceux qui hésitent. C'est un bon premier tome qui donne envie d'en savoir plus. Ces vagues d'immigrations sont-elles organisées et voulues? La violence qui règne au sein des communauté est-elle voulue et fomentée par les élus? Oui, j'ai envie d'en savoir plus...